NON au prix unique du livre

Bonjour à tous,

Suite au débat organisé le lundi 13 février au théâtre, je me permets d’exposer quelques petits arguments par rapport au prix unique du livre. Ce thème d’actualité me concerne particulièrement tant par mon activité politique que culturelle. En tant que consommateur modeste de livres dans une « petite » librairie de quartier, je me permets de prendre position sur quelques points, et vais tenter d’amener des solutions à cette problématique. Je suis bien sûr pour leur présence et leur activité, mais celle-ci doit répondre à une demande claire.

NON au prix unique!
  1. Beaucoup de gens parlent de cette réglementation en mettant en avant le « produit culturel ». Le produit culturel, c’est la propriété intellectuelle, le travail de l’auteur. Aujourd’hui, le débat autour du prix unique du livre concerne la chaîne entre l’éditeur (qui acquiert les droits de l’auteur), le distributeur, l’importateur et le revendeur. Malheureusement, cette chaine est généralement maîtrisée par un même groupe qui exerce une situation de quasi monopole. Il est par contre évident que l’auteur doit être soutenu. L’auteur touche actuellement des clopinettes, et ce n’est pas cette loi qui va changer les choses. Selon les cantons, de nombreuses formes de soutien existent, mais le prix unique du livre ne leur assurera en aucun cas plus de revenus. En Valais par exemple, j’espère qu’un modèle « LittératurePro », comparable à « ThéâtrePro », « MusiquePro » et « DansePro » puisse soutenir les auteurs dans leur démarche de création. N’oublions pas que le marché suisse de la création et de l’édition n’est pas comparable au marché français, mais complètement dépendant.
  2. En dictant un prix unique du livre, on ne change malheureusement pas le mode de consommation du public. Si un client a l’habitude d’aller chez Payot ou sur Amazon, il ne va pas aller dans une librairie indépendante sous prétexte que le prix est le même. Par contre, si il cherche un service ou un conseil, il saura aller dans une librairie qui pourra le renseigner. Cette position est peut-être fataliste pour les libraires, mais les habitudes de consommation du public évoluent constamment, prix unique ou pas.
  3. A l’origine du prix unique du livre en France, les librairies indépendantes pensaient pouvoir changer ce mode de consommation. Il s’avère que finalement, les gros groupes (qui maîtrisent toute la chaîne) ont un pouvoir total sur le prix de vente, et ont même une loi qui leur oblige de vendre à « prix plein », alors qu’avec la quantité qu’ils vendent, ils pourraient avoir de monstrueux rabais. Ils ont donc tout à gagner, sur le dos des consommateurs. Si Payot est derrière cette loi, ça n’est pas pour rien. A titre d’exemple, la loi française sur le prix unique du livre numérique a été largement soutenue par ces grands groupes, qui leur permet au passage de faire un jackpot. Un livre vendu en librairie 20€ est disponible en ligne pour 17€ (!). En tenant compte que les frais sont réduits à un travail d’édition et de création d’une plate-forme en ligne pour la diffusion, les marges sont encore plus grandes! Trouvez l’erreur. Ils ont donc tout à y gagner, d’autant plus que les petits libraires se retrouveront  « broucouilles » avec cette nouvelle technologie.
  4. Qu’est-ce que la loi va nous apporter? elle ne nous assure ni une baisse ni une augmentation des prix. Le seul élément certain est que les prix seront fixés par les importateurs et bétonnés par une loi. Il est impossible de prédire quelle sera influence sur les prix ! Aujourd’hui, je ne paye peut-être pas le même prix en CHF qu’en €, mais je suis conscient qu’il y a un service et des coûts supplémentaires propres à la Suisse. Je suis même prêt à payer mon livre 2x le prix en Euro, si on m’assure que cet argent sera pour l’auteur et le libraire indépendant. C’est justement là où c’est impossible vu que les éditeurs, fournisseurs et revendeurs sont tous liés, et que cette loi leur bétonnera leurs revenus, mais n’incitera pas à une concurrence « normale ».
  5. Actuellement, les nouveaux livres numériques sont édités pour être lus sur des « kindles« , tablettes qui permettent la lecture de fichiers numériques. Cette technologie, qui résulte d’un changement de mode de consommation se généralise dans les pays anglo-saxons et arrive gentiment en France. En Suisse, le « lobby » ne permet pas du tout d’acquérir ce genre de produits. Ils sont disponibles sur les sites d’informatique et à l’étranger. Malheureusement le consommateur est bluffé et ne peut pas accéder aux technologies actuelles.
  6. Les libraires justifient aujourd’hui qu’ils peuvent obtenir un livre dans les 2 jours, ce qui est un excellent argument pour les importateurs, car même en France il est difficile d’avoir ces délais de livraison. La loi obligerait les libraires à se fournir chez leurs importateurs alors qu’à terme, les libraires devraient aussi pouvoir se fournir directement auprès des éditeurs pour rationaliser les coûts.
  7. Est-ce qu’un libraire à Genève doit vendre son livre au même prix que celui de Fully ? Alors qu’ils ont un loyer différent, des salaires différents, un nombre de livre différent et des clients différents ? Est-ce que le prix d’une entrée de théâtre devrait être le même à Paris qu’à Monthey ? Est-ce que le prix d’un concert à Vienne doit être le même que celui à Zürich ? Non, tout simplement parce que le contexte est différent de cas en cas, et qu’une loi ne peut en aucun cas prétendre supprimer ce contexte… et nous parlons toujours d’un bien culturel.

Pour résoudre le problème, je me permets de soulever deux points sur les thématiques du produit culturel et de la librairie :

– Je conçois totalement la problématique des libraires et des librairies. Je suis cependant convaincu qu’une remise en cause doit avoir lieu. Essayer de leur assurer une survie à travers une loi autant incertaine sur ses effets serait utopique. J’imagine cependant une diversification nécessaire sous un autre angle. Est-ce que celles-ci ne devraient pas s’ouvrir comme des lieux de lecture avec des ouvrages généraux à disposition des clients? Vu que l’on parle de service, pourquoi ne pas servir un café au passage ? Pourquoi ne pas se transformer en centre d’impression de livres numériques? je ne suis pas là pour refaire la branche, mais un passage par ces remises en question n’est-ce pas un mal nécessaire? Une fois de plus cette position est peut-être fataliste pour les libraires, mais les habitudes de consommation du public évoluent constamment.

– La profession va subir un énorme chamboulement dans les 20, 30 ou 50 prochaines années. Si ce constat est dur, je suis persuadé que nous pouvons assurer la diversité culturelle à travers des plates-formes d’échange internet relativement simples, sans appauvrir du tout la richesse de la création. Par exemple, si les éditeurs réorientent leur travail sur les nouveaux médias et qu’ils tendent à une diffusion numérique, leurs frais pourraient être déduits d’autant et les montants épargnés pourraient servir d’avantage à la création. Cela permettrait d’offrir au consommateur un plus large choix, tout en assurant une bonne diffusion.

– finalement, je continuerai à aller à la petite librairie du quartier pour la soutenir. Mais si je n’écoutait que moi, j’aurais tendance à orienter ma consommation directement sur les ebooks, sans trop passer par les plates-formes on-line.

Pour conclure, oui, je suis proche du milieu culturel et je souhaite soutenir les auteurs et petits libraires, mais et je voterai NON au prix unique du livre.

Fabien Girard, Député-suppléant.

Liens:  Débats du théâtre // Le texte du référendum

PS: pis dans le fond, si le prix français n’avait pas été imprimé sur les livres, cette discussion n’aurait jamais eu lieu… et si tout le monde et toutes les personnes qui débattent aujourd’hui autour du livre allait chez les petits libraires, il n’y aurait pas de problèmes non plus 😉

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